Il y a bientôt 4 ans que j’ai commencé à travailler avec les pictogrammes. Si je vous ai régulièrement partagé des activités utilisant ces petites images, il est temps de revenir sur différentes questions que je reçois régulièrement.

Comment j’en suis venue à intégrer les pictogrammes dans ma pratique ?

Il y a donc 4 ans, j’ai commencé à accueillir dans le dispositif, un élève de CP avec des troubles du spectre autistique. Il s’agissait d’un enfant verbal, avec un bon niveau de lexique mais une compréhension orale limitée, comme c’est très souvent le cas chez les élèves porteurs de TSA (pour en savoir plus sur le décalage entre compréhension et production orale, je vous renvoie à l’excellent ouvrage d’Armelle Motet-Fèvre sur le langage et la communication chez les personnes avec TSA). L’arrivée de cet élève dans le dispositif a été mouvementée mais, avec l’aide des AESH qui intervenaient auprès de lui, nous avons pu nous appuyer sur un puissant renforçateur : la cuisine. Une fois par semaine, je faisais donc mon marché dans mon frigo et mes placards pour apporter le nécessaire pour réaliser une recette. Mais nous ne sommes pas dans un lycée hôtelier ! Cette activité se voulait donc pédagogique…

Objectif : lier le passage en cuisine et en faire une récompense après une activité scolaire cognitivement coûteuse : la lecture.

Problématique : Elève non lecteur avec une faible compréhension des consignes orales mais une très bonne compréhension et mémoire visuelle

Solution : Fournir la recette sous forme visuelle. Quelle forme choisir alors ? Des photos de chaque étape de la recette ? Difficilement tenable sur la longueur et cela impliquait de faire la recette en amont (et donc d’utiliser le double d’ingrédients !). La solution, vous vous en doutez, a donc été d’utiliser les pictogrammes.

Exemple d'une recette pictographiée

C’est donc ainsi que les « picto » sont entrés dans ma vie professionnelle (et personnelle aussi car même mes enfants sont devenus incollables !).

A partir de ce moment, j’ai commencé à entrevoir le potentiel de cette entrée visuelle pour soutenir la compréhension de l’écrit ou de l’oral. On me pose souvent la question de la progression que j’ai suivie pour introduire les pictogrammes. Je dois vous avouer que je n’en ai eu aucune ! En tout cas, pas de progression prédéfinie et académique…  Je me suis entièrement basée sur les besoins des élèves, leurs forces et leurs faiblesses.

A cette époque, je préparais le CAPPEI et j’avais un projet autour du « Loup qui découvrait le pays des contes ». Pour que tous les élèves, même les non-lecteurs, aient accès aux contes du patrimoine, je me suis donc lancée dans la « traduction » de ces histoires en pictogrammes. Depuis, ces histoires ont toujours leur place dans la bibliothèque du dispositif où elles rencontrent systématiquement un franc succès. De fil en aiguille, ou plutôt d’activités en activités, les pictogrammes ont pris une place importante dans le quotidien du dispositif.

Le petit chaperon rouge version pictos

Est-ce que les pictogrammes sont réservés à l’enseignement spécialisé ?

J’espère que vous avez tous la réponse à cette question !!!! Bien sûr que non ! Mais mon avis est sûrement biaisé car je suis persuadée que les outils couramment utilisés dans l’enseignement spécialisé ont tout à fait leur place dans toutes les classes ordinaires.

Les pictogrammes peuvent s’avérer très utiles en maternelle, pour les élèves qui ne s’expriment pas (encore) oralement et plus globalement pour tous les élèves, petits ou grands, qui ont des difficultés de compréhension ; je pense notamment aux élèves allophones, en classe ordinaire ou en UPE2A.

Quelle est la démarche/méthode à suivre pour les présenter aux élèves ? Comment les introduis-tu ? Quel point de départ ?

J’en viens donc à la présentation de cet outil… Il n’y a pas de recette miracle mais force est de constater que la plupart des élèves n’ont aucun souci pour se saisir des pictogrammes dans les activités quotidiennes : lecture, dictée, problème, … Ils font très facilement le lien entre l’image, sa signification et le mot qu’il illustre. Ils se saisissent de cette béquille et s’en servent pour dépasser leurs difficultés. Pour vous convaincre, montrez des pictogrammes à vos enfants/neveux/voisins et demandez-leur à quel mot ils correspondent. Encore plus évident, dans un pays étranger, tout le monde fait la différence entre une issue de secours et la porte des toilettes ! Comment ? Grâce aux pictogrammes ! Notre cerveau est naturellement programmé pour mettre du sens derrière ces images. Contrairement à la lecture, pas besoin d’un apprentissage structuré.

Toutefois, certains élèves ont besoin « d’apprendre les pictogrammes ». Ce besoin ne doit pas vous empêcher d’introduire cet outil. Les pictogrammes sont un langage à part entière : quand vous parlez à un nouveau-né, vous ne limitez pas le nombre de mots que vous utilisez, sous prétexte qu’il ne les comprend pas encore ou qu’il n’est pas capable de les utiliser. C’est exactement pareil pour les pictogrammes (et pour la communication alternative et améliorée, CAA, en général !) : ne limitez pas le nombre de pictogrammes que vous utiliserez dès le départ sous prétexte que les élèves ne les connaissent/comprennent pas tous ! C’est l’utilisation, en situation, qui va justement leur permettre d’accéder à leur compréhension et de comprendre leur intérêt : ils pourraient bien vous étonner !

Exemple d'un box de travail où les pictogrammes permettent

de communiquer et d'apprendre à lire

Faut-il introduire des mots-clés/essentiels avant de passer aux autres ?

L’introduction se fait en fonction des besoins des élèves, des activités prévues à l’école mais aussi, et surtout, des centres d’intérêt des élèves. Pour donner du sens à cet outil, donner envie aux élèves de se l’approprier, voici quelques idées d’activités en vrac : leur album favori encodé en pictogrammes, un escape-game, quelques pictogrammes pour comprendre un texte ou un énoncé de problèmes leur permettront de se rendre compte de l’aide que peuvent leur apporter les pictogrammes. Il est plus efficace de commencer avec le pictogramme « tyrannosaure » si un élève a une passion pour les dinosaures plutôt que par le picto « chat » s’il en a une peur bleue. A noter que la plupart des pictogrammes sont évidents : le picto « chat » ou « chien » seront très rapidement compris et assimilés. Les pictos qui demanderont un peu plus d’entraînement seront ceux des « mots-outils » tels que les déterminants ou les prépositions. Cependant, à grand renfort d’activités (dictée, lecture, langage oral, …), il y a fort à parier qu’ils seront vite mémorisés. Dans le cas contraire, il est toujours possible d’utiliser un référent de mots-outils, collectif ou individuel.

Utilises-tu les pictos avec les élèves ayant un langage oral fonctionnel ? Si oui, comment ?

Bien sûr ! Il faut bien faire attention à ne pas faire de raccourci hasardeux entre le niveau d’expression d’un enfant et son niveau de compréhension. Comme évoqué plus haut, il y a souvent un important décalage entre ces deux aspects. Il est donc tout à fait possible et même profitable d’utiliser les pictogrammes avec des élèves oraux.

De plus, les pictogrammes ne servent pas uniquement à s’exprimer ; dans le cas des lectures-pictos, ils permettent de témoigner de la lecture et de la compréhension des mots, d’aider leur mise en mémoire et donc de comprendre l’énoncé complet. Idem pour les pictos-problèmes : les pictos permettent ici d’accéder à la compréhension de l’énoncé afin de se forger une image mentale de la situation pour finalement répondre à la question posée.

En résumé, qu’ils servent à l’expression oral, écrite ou à la compréhension, les pictos ne servent qu’un seul but : l’accès à l’autonomie de l’élève.

Lectures-pictos sur le thème de Sonic le hérisson

Comment les présenterais-tu à des jeunes ados de 12/14 ans sans qu’ils aient l’impression de régresser ?

Répondre à cette question serait tellement plus facile si toute la société était inclusive ! Pour la petite histoire, j’utilise les pictogrammes de l’ARASAAC, un collectif espagnol. Je vous invite à suivre leur site internet et leurs comptes sur les réseaux sociaux pour voir comment les pictogrammes ont gagné de nombreux lieux publics : bibliothèque, mairie, squares, … Mon rêve : voir la même chose en France ! Des pictogrammes partout pour permettre à chacun de trouver sa place dans la société !

En attendant que ce rêve des plus utopiques se réalise, voici quelques pistes pour introduire les pictogrammes auprès de jeunes adolescents :

-        choisir des sujets en lien avec les centres d’intérêt des élèves : traduire une consigne Minecraft ou Fortnite en pictogrammes, les paroles d’une chanson (je ne pousserai pas le vice à vous conseiller d’utiliser une chanson de Jul…)

-        choisir des pictogrammes plus « adultes » : je vous conseille la banque Sclera, en noir et blanc.

Exemple de pictogrammes de la banque Sclera

Utilisons-nous les pictogrammes avec le mot à lire en dessous ou pas ?

Tout dépend de mon objectif. N’oubliez surtout pas de partir de votre objectif et non de l’outil. La question est : « est-ce que les pictos peuvent permettre aux élèves d’atteindre plus rapidement l’objectif ? » et non « J’ai envie d’essayer les pictos, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire avec ? ».

Par exemple, pour les lectures-picto, je ne mets pas le mot en-dessous du pictogramme car le but est de comprendre le mot lu dans la phrase ou le court texte. A contrario, dans les contes ou histoires en pictos, le mot est inscrit sous chaque pictogramme car mon objectif est, ici, de faire prendre conscience aux élèves du lien entre le signifiant et le signifié. En d’autres termes, en « lisant » ces histoires, les élèves comprennent que les mots s’écrivent toujours de la même façon (stabilité de l’écrit) et renvoient à des réalités. Par exemple, il y a quelques années, j’ai accueilli dans le dispositif une élève qui a mis 18 mois à comprendre que les deux syllabes MO et TO accolées formaient le mot « MOTO » mais surtout que ce résultat – ce mot – avait un sens : le véhicule à deux-roues qui fait beaucoup de bruit lorsqu’il passe dans la rue devant l’école. Cette découverte a été le point de départ d’une progression fulgurante pour cette élève et après 1 an de lecture-picto, elle peut aujourd’hui lire les fiches de lecture-picto et trouver l’image correspondante sans placer les pictogrammes sous chaque mot.

Comment gères-tu le fossé entre les anciens élèves qui connaissent bon nombre de pictos et les novices ?

L’écart entre les anciens et nouveaux élèves est rapidement comblé. En effet, les seuls pictos à mémoriser sont ceux des mots-outils : les autres sont relativement « transparents ».

Pendant les premières semaines, les nouveaux élèves bénéficient donc d’un accompagnement plus important : pendant que les « anciens » feront leur dictée en autonomie, leurs camarades travailleront avec moi ou avec l’AESHco. Un tutorat peut également être mis en place, très bénéfique pour les deux parties.

Connaissez-vous des sites proposant des progressions de dictées picto ?

Une progression de dictées-picto est disponible sur le blog. Pour chaque période, une dictée par jour avec de nombreuses reprises des mots d’intérêt, tous autour d’un champ lexical. Vous trouverez sur le blog des dictées autour du matériel scolaire, de Noël, de l’alimentation, des animaux, de certains albums, … Je mets à jour régulièrement les fichiers disponibles mais il est très facile de créer ses propres dictées.

Comment fonctionnent les dictées-picto ?

Chaque matin, les élèves découvrent une dictée-picto collée dans leur cahier du jour. L’AESHco lit la dictée pour aider les élèves à identifier les pictogrammes inconnus. Les élèves encodent à leur rythme, sous le regard bienveillant de l’adulte. Ils sont encouragés à travailler un maximum en autonomie. Il n’y a généralement qu’un ou deux mots inconnus dans chaque dictée. Mais tout n’est pas rose ! Certains élèves ont besoin de beaucoup d’accompagnement. Les dictées-picto permettent donc aux élèves les plus autonomes de travailler seuls pour permettre aux encadrants de focaliser leur attention sur les élèves qui en ont le plus besoin.

Astuce : j’imprime chacune des dictées en grand format ; Les élèves peuvent donc s’entraîner en reprenant des dictées déjà travaillées dans le cahier du jour, dans le cadre de leur plan de travail. Ces dictées sont conservées dans une boîte assez haute (type carton de bouteille de champagne ou dans un vase et sont régulièrement reprises lors d’exercices de transpositions.

Exemple d'utilisation des dictées-picto

Comment enseignes-tu le sens d’un pictogramme ?

Vous l’aurez compris, je ne fais pas de séance pour enseigner le sens d’un pool de pictogrammes. Les picto sont vus en situation, les élèves les mémorisent à leur rythme, en fonction de leurs besoins.

Je laisse cet article en suspens. J'y ajouterai des éléments au fur et à mesure que vous m'enverrai vos questions. J'espère que mes réponses sont assez claires. J'ai l'impression d'avoir parfois été un peu "brouillonne". Pas facile de retranscrire mes réflexions et mon cheminement (quand je vous dis qu'il ne fait pas bon être dans ma tête !). N'hésitez pas à laisser vos commentaires, vos questions et à me partager vos réflexions et vos essais. Je suis toujours curieuse de voir comment vous vous appropriez mes partages.